Je ne sais pas pour vous, mais penser à l’état de notre planète et à la façon de la sauver me génère beaucoup d’anxiété. Comment pourrais-je, une simple goutte dans l’océan de l’humanité, faire quelque chose pour contribuer à notre lutte contre le changement climatique et le réchauffement planétaire ?
Bien sûr, comme toute bonne citoyenne consciente, je me suis engagée à :
- recycler tout ce qui est recyclable
- laisser ma voiture à la maison pour marcher ou faire du vélo lorsque possible
- acheter local
- privilégier le durable
- trouver des moyens de rendre ma maison plus économe en énergie, etc.
Mais malgré tout cela, après plus de 30 ans d’efforts (incluant ceux de millions d’autres personnes), le changement climatique ne montre aucun signe de ralentissement. Pire encore, il s’accélère. Plus que jamais.
Il ne fait aucun doute que des changements radicaux dans notre mode de vie sont nécessaires.
Mais, malgré tous les changements que nous pourrions opérer à l’extérieur de nous-mêmes, il est fort probable que le problème du changement climatique persistera. Pourquoi ? Parce que peut-être que les choses physiques et tangibles que nous transformons, fabriquons ou utilisons ne sont pas les seules responsables du changement climatique. Les causes se trouvent peut-être aussi à un niveau plus profond, dans les éléments intangibles qui constituent le tissu même de nos relations.
Sommes-nous sortis d’une relation juste et harmonieuse avec la Terre Mère ?
Depuis une vue « dézoomée » ou à vol d’oiseau de l’humanité dans son ensemble et de son comportement envers la planète, il est facile de voir comment nous avons rompu notre relation harmonieuse avec notre Terre Mère et ses enfants ; à quel point les bipèdes se sont éloignés du cercle des frères et soeurs animaux et du cercle sacré de la vie (Grigory, 2015).
À un moment de notre histoire, notre perspective est passée du « nous » au « moi ». De membres de communautés prospères, nous sommes devenus avant tout préoccupés par la satisfaction de nos propres besoins. Au lieu d’honorer toute forme de vie et de considérer nos relations comme sacrées, nous avons choisi de poursuivre nos intérêts personnels au détriment des autres. Nous sommes passés d’une conversation constante avec les mondes mystiques et invisibles à l’érection d’une distance entre nous, le divin, et les autres membres du cercle, y compris notre chère Terre Mère.
Cette distance émotionnelle, cette froideur envers la Terre (et toute vie) et cette déconnexion sont ce qui nous a permis de l’abuser sans pitié. Réduite à un objet physique inerte à posséder, violer et utiliser pour nos propres fins, nous avons perdu toute empathie à son égard, ce qui nous empêche d’imposer des limites éthiques à nos actions envers elle.
Mais dans notre arrogance, nous avons oublié que nous restons régis par ses lois.
Un de ses principes de conception favoris est l’auto-similarité, un concept clé de la géométrie fractale. Les fractales sont des motifs qui se répètent à différentes échelles. Parmi les exemples les plus courants de fractales dans la nature, on trouve les arbres, les fougères, les flocons de neige, les deltas fluviaux, les montagnes, les nuages, la foudre et les cristaux. Les poumons, les systèmes circulatoires et les cerveaux des animaux sont également des structures fractales. Dans chacun de ces exemples, les structures auto-similaires se répètent à travers le spectre de l’infini. Elles se ressemblent, que l’on zoome à l’intérieur ou à l’extérieur.
Le même principe d’auto-similarité peut être trouvé dans des choses moins tangibles telles que les systèmes sociaux et économiques, les arts, et… nos comportements relationnels.
« Zoomons » sur l’humanité à partir de notre vue « dézoomée » de la Terre. Ne nous comportons-nous pas les uns envers les autres de la même manière que nous maltraitons la Terre ? N’avons-nous pas également rompu la relation juste et harmonieuse avec nos propres voisins ? En effet, nous vivons à une époque où, contrairement à ce que l’on pourrait penser, « la violence a proliféré, […] le viol est commis en toute impunité, le trafic sexuel prospère » (Blackie, 2016), la concurrence est plus féroce que jamais, la fraude est la norme, et « le matérialisme rejette le sens (l’intangible) et la magie (l’invisible) » (Turner, 2017).
Zoomez un peu plus et nous pouvons identifier les mêmes schémas dans notre relation avec nous-mêmes : objectification de soi, insatisfaction corporelle et honte, haine de soi, et troubles alimentaires, pour n’en citer que quelques-uns.
Si nous zoomons encore pour regarder à l’intérieur de nos corps, on ne peut s’empêcher de remarquer l’extraordinaire ressemblance entre le comportement des cellules cancéreuses dans le corps et celui des humains sur Terre. Comme les humains, les cellules cancéreuses rivalisent avec les cellules voisines pour l’espace et les ressources ; elles échappent à la prédation par le système immunitaire du corps ; elles peuvent même coopérer pour se disperser et coloniser de nouveaux organes (Merlo, 2006)—un processus connu sous le nom de processus métastatique.
Comme les humains, les cellules cancéreuses sont préoccupées par la satisfaction de leurs propres besoins et la poursuite de leurs propres intérêts. Elles aussi ont rompu leur bonne relation avec leurs cellules voisines. Elles ont rompu leur relation équilibrée et harmonieuse avec l’ensemble du corps.
Mais ce n’est pas tout. Quiconque perçoit les niveaux subtils d’une tumeur cancéreuse peut dire qu’elle se comporte très différemment des autres états pathologiques ou blessures physiques. Contrairement à ces dernières, qui manquent de sentience, une tumeur a une forme de « conscience » ; elle est douée de sensibilité à sa manière.
« La sentience décrit les choses vivantes, capables de ressentir et de percevoir, et montrant une conscience ou une réactivité. »
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En tant qu’entité sentiente et parasitoïde, une tumeur « sait » que son comportement finira par tuer son hôte, et par conséquent, la tuer elle-même. Pourtant, elle persiste dans ce qu’elle fait le mieux, sans se soucier des conséquences.
Cela ne vous semble-t-il pas familier ? Ne savons-nous pas que notre comportement est en train de tuer notre hôte, mais continuons à le faire malgré tout ? Ne sommes-nous pas les cellules cancéreuses de notre Terre Mère ?
Comme le dit une maxime célèbre : « En haut comme en bas ; à l’intérieur comme à l’extérieur. » En effet, le macroscopique (le comportement humain sur Terre) se reflète jusque dans le microscopique (le comportement de la tumeur dans le corps), et inversement, le « macro » est un miroir du « micro ». Ces comportements sont auto-similaires (des fractales) et se répètent à l’infini, qu’on zoome de plus près ou de plus loin. Se pourrait-il alors que la solution aux changements climatiques réside dans un changement de nos comportements et dans nos relations avec la Terre Mère et le cercle sacré de la vie ? Est-ce que retrouver une relation juste avec nous-même et notre monde pourrait se répercuter à tous les niveaux et entraîner un renversement de l’état de notre planète ? Les lois de la géométrie fractale nous indiquent que la réponse est « oui ».
Comment rétablissons-nous une relation harmonieuse avec la toile de la vie ?
Bien que la technologie puisse être incroyablement utile pour résoudre les problèmes environnementaux que nous avons créés, en dépendre excessivement pourrait être désastreux. En effet, nombreux sont ceux dans les secteurs scientifique et commercial qui préféreraient modifier la planète elle-même par le biais de la bio-ingénierie plutôt que de résoudre leurs propres schémas et comportements (Livni, 2017). Je suis sûre que vous conviendrez avec moi que de nouvelles modifications de la Terre ne sont certainement pas le moyen de rétablir une relation juste avec elle.
- Retrouver notre chemin vers l’AMOUR
Restaurer notre relation avec notre Terre Mère et ses enfants ne peut venir que d’un lieu d’humilité. Assumer pleinement la responsabilité de nos propres problèmes, guérir la douleur qui nous retient, pardonner à ceux qui nous ont fait du tort, nous pardonner à nous-mêmes, faire amende honorable et faire des choix différents dans la manière dont nous interagissons avec nous-mêmes et les autres sont autant de moyens de gagner en humilité et de retrouver le chemin vers l’amour de soi.
Lorsque nous guérissons et ouvrons nos cœurs, nous ressentons le flux et la sacralité de toute vie, et nous éprouvons un profond amour et compassion pour nous-mêmes et pour les autres. Cela change la façon dont nous interagissons et réagissons avec les autres. Cela nous ramène à l’équilibre et à l’harmonie, dans un état d’inter-être.
Grâce au principe d’auto-similarité, agir depuis cet état dans n’importe quelle situation devient significatif et pertinent pour aider à inverser le réchauffement climatique. Car les changements fondamentaux que ces actes créent dans le tissu de nos interactions sociales doivent se refléter à toutes les échelles à travers la géométrie fractale. Pouvez-vous imaginer ce qui pourrait se passer si « nos politiciens et dirigeants d’entreprise agissaient […] avec compassion plutôt qu’avec calcul, avec humanité plutôt que pour des motifs instrumentaux abstraits » ? (Eisenstein, 2013)
- RENÉGOCIER notre place dans la toile de la vie
En (ré)apprenant à être en bonne relation avec nous-mêmes et nos semblables, il devient beaucoup plus facile de développer une relation harmonieuse avec nos « parents non humains ».
La Terre est un être sentient. Il en va de même pour les plantes et les animaux. Même l’eau et les pierres possèdent une forme de sensibilité propre. Par conséquent, la terre qui nous entoure est consciente de ce qui se passe—que ce soit la plantation d’un jardin, le creusage d’une montagne pour créer un tunnel, l’abattage d’arbres pour construire une route, ou les prières prononcées (Amy, 2023).
Comme l’a si éloquemment exprimé l’auteure de Braiding Sweetgrass, Robin Wall Kimmerer : « [N]ous n’agissons pas toujours en conséquence, mais nous savons comment nous aimer les uns les autres, et être reconnaissants les uns envers les autres, et être en réciprocité les uns avec les autres. Nous pouvons étendre ces dons humains à nos parents non humains. Je pense que nous sommes dans cet état [de changement climatique rapide] parce que nous n’avons pas suffisamment aimé la terre. Ce qui doit changer, c’est une plus grande étendue de la manière dont nous canalisons cet amour » (Brown University, 2022).
Il y a beaucoup à apprendre des façons traditionnelles de canaliser cet amour. Ouvrir un dialogue avec la terre qui nous entoure, faire des offrandes de remerciement, demander sa permission avant chaque interaction, écouter sa réponse et apprendre ce qu’elle a à nous enseigner sont toutes de grandes manières de (re)entrer en relation juste avec notre planète. En fait, demander la permission est probablement la manière la plus importante de montrer notre respect pour les personnalités avec lesquelles nous interagissons, qu’elles soient humaines ou non (Kimmerer, 2013).
Si tout et chacun était aimé, honoré et respecté de manière aussi sacrée ; si nous vivions à nouveau en équilibre et en harmonie avec toute vie ; la pollution, la déforestation, la fracturation, la surpêche et la modification génétique des organismes seraient-ils les mêmes qu’aujourd’hui ? Tant que nous ne retrouverons pas une relation juste avec nous-mêmes et avec les autres, il est en effet fort probable que la crise climatique persistera.
Amy. (2023). Asking the Land for Permission. Following Hawks. https://followinghawks.com/ask-land-permission/
Blackie, S. (2016). If women rose rooted: A life-changing journey to authenticity and belonging. September Publishing.
Brown University. (2022, November 5). ‘Braiding Sweetgrass’ author: ‘We haven’t loved the land enough.’ News from Brown. https://www.brown.edu/news/2022-11-04/kimmerer
Eisenstein, C. (2013). The more beautiful world our hearts know is possible (Vol. 2). North Atlantic Books.
Grigori, J. W. (2015). Grandfather Fire and the Circle of Animal Brothers. On A Shaman’s Tales: Stories and Songs from an American Shaman. https://jadewahoogrigori.bandcamp.com/album/a-shamans-tales-stories-and-songs-from-an-american-shaman
Kimmerer, R. (2013). Braiding sweetgrass: Indigenous wisdom, scientific knowledge and the teachings of plants. Milkweed editions.
Livni, E. (2017, September 9). The simple metaphor that’s increasingly getting in the way of scientific progress. Quartz. https://qz.com/1072039/the-simple-metaphor-thats-increasingly-getting-in-the-way-of-scientific-progress/amp
Merlo, L., Pepper, J., Reid, B. et al. Cancer as an evolutionary and ecological process. Nat Rev Cancer 6, 924–935 (2006). https://doi.org/10.1038/nrc2013
Turner, T.-p. (2017). Belonging: Remembering Ourselves Home. Her Own Room Press.